"Innovation"

International audienceQu’il faille, pour bâtir une théorie sociologique des activités entrepreneuriales, accorder à la catégorie d’innovation une place fondamentale, voilà qui semble aller de soi. L’innovation est en effet souvent présentée comme un facteur essentiel de succès pour les entreprises, voire comme une condition de leur survie, et la capacité d’innover est l’une des qualités que l’on prête volontiers à l’entrepreneur. Cette évidence familière renvoie en grande partie à la manière dont l’innovation a été investie en tant que critère et outil de politique économique dans la plupart des nations industrialisées, et ce depuis presque un demi-siècle. Les mesures cherchant à stimuler l’entrepreneuriat ont progressivement pris une place prééminente dans le répertoire d’instruments déployés par les politiques d’innovation, notamment dans les secteurs de haute technologie, en vue d’encourager la création de jeunes entreprises porteuses de promesses de compétitivité, de croissance et d’emplois. Le lien entre entrepreneuriat et innovation est également historiquement et culturellement ancré dans un imaginaire qui appréhende de manière positive la nouveauté comme valeur (Edgerton, 2006 ; Godin, 2012) et l’entreprendre comme mode de réalisation de soi (Rose, 1992).Pourtant, si l’innovation paraît apte à saisir l’essence même de la fonction entrepreneuriale, elle pose problème dès qu’il s’agit de lui trouver une définition univoque, et de décrire plus précisément son articulation avec l’entrepreneuriat. Les nombreux surveys consacrés aux études sur l’innovation et l’entrepreneuriat déplorent régulièrement à ce sujet que les perspectives de recherche soient fragmentées en autant d’objets, de niveaux d’analyse et d’orientations disparates que de spécialités disciplinaires, ce qui les rend irrémédiablement irréconciliables (Gartner et Shane, 1995 ; Fagerberg et al., 2012 ; Landström et al., 2012).L’œuvre de l’économiste autrichien Joseph Schumpeter apparaît dans ce paysage brouillé comme l’un des rares repères communs aux études sur l’innovation et à celles sur l’entrepreneuriat (Swedberg, 2000). Schumpeter inaugure en effet une approche de l’innovation en tant que phénomène de nature économique qu’il articule explicitement à une théorie de l’entrepreneur et de l’activité entrepreneuriale. La perspective théorique qu’il développe constitue un héritage dont se réclame un nombre important de travaux consacrés à l’analyse des processus d’innovation et des phénomènes entrepreneuriaux. On commencera donc par rappeler les grandes lignes de l’analyse schumpétérienne de l’entrepreneur innovateur, pour montrer qu’elle oscille entre une conception personnifiée et une conception distribuée de l’innovation. La plupart des tentatives de résolution de cette tension finissent par réduire l’innovation soit à l’essence même d’une écologie des entreprises, soit à une politique publique de la créativité. L’enjeu d’une sociologie des activités entrepreneuriales consiste alors à proposer une conception étendue de l’innovation comme phénomène distribué entre une multitude d’acteurs hétérogènes, afin de comprendre comment émergent dans des configurations spécifiques une variété de figures entrepreneuriales, qu’elles soient individuelles ou collectives